Pour aider les enfants de Kinshasa.

Retrouvailles avec Octave

Posté par oserlavie | Témoignages | 2 février 2006

N.B. « Octave » est un nom d’emprunt, par respect pour la vie privée de cet enfant.

Retrouver cet enfant est un véritable miracle pour moi. Je n’y croyais plus du tout, j’étais épuisée et fauchée. C’était la fin de mon séjour.

J’avais l’esprit ici et là-bas, le cœur animé d’une foule de sentiments : tantôt l’incompréhension face au visage inhumain que porte le Congo vis-à-vis des enfants des rues, tantôt le cœur réchauffé par les actions menées ça et là par les associations locales, tantôt dégoûtée d’avance par le luxe et le confort qui m’attendaient à huit heures de vol de là, tantôt triste de laisser ma mère et ma famille, tantôt toute minuscule devant les listes des orphelins de l’école Bambou, toutefois heureuse de retrouver mon mari, notre grande fille, mes amis et puis tous les membres de Oser la vie qui ont accompagné mon séjour dans leurs pensées….

C’est à ce moment là que tout s’est emballé ; un coup de fil, un rendez-vous, visite des centres ouverts, ces lieux où la misère te lance un défi en pleine figure, découverte d’une autre facette de la vie des gosses des rues, suspens, long moment d’attente, marche épuisante et interminable sous le soleil, négociation.

Et puis j’entends retentir dans mes oreilles : Madame, je vous présente Octave ! Ma gorge se serre, je retiens mes larmes, le gosse était littéralement fatigué, il était occupé à faire la vaisselle à même le sol, accroupi, il lève son doux regard et me fixe droit dans les yeux. Ne sachant quoi lui dire, je lâche : bonjour ! Je suis Mithé, je te cherchais, ça fait 3 semaines que je te cherche. Il ne dit rien et reste imperturbable.

Tony(1) nous observe. Embarrassée, je lui demande : tu viens avec moi ? Il me répond : je travaille, je n’ai pas encore terminé mon travail et je ne suis pas encore payé. Toujours retenant mes larmes je lui demande : combien ? Il me dit : 50 FC (0.002$) Tu n’as plus besoin de travailler, viens avec moi lui répondis-je presque en sanglot. Il obéit et nous suit. Tout de suite ma décision était prise, je ne laisserai pas cet enfant dans la rue. A partir du moment où je lui avais dis : tu n’as plus besoin de faire ça, je m’étais engagée à lui offrir autre chose, le meilleur.

Arrivée à son centre de référence A D E (Aide à l’Enfance Défavorisée) l’assistante sociale du centre ouvert m’appelle dans le local à côté et me demande si j’ai bien réfléchi. Elle me décrit la vie d’un môme de rue (il est habitué à se défendre seul contre le vent, la pluie, le froid, les chiens errants, les alcooliques, les pédophiles, les dealers et les bandes rivales) Oui je suis sûre que je veux le prendre avec moi.

Je regarde l’assistante sociale et je lui demande : est-il drogué ? alcoolique ? voleur ? Elle rit et me dit : « c’est l’idée que les gens se font sur les enfants des rues.  Tous les enfants des rues ne sont pas drogués, voleurs ou alcooliques. C’est un très chouette gosse tu verras toi-même. Demandons-lui son avis. » Mon cœur s’emballe : « et s’il refuse de me suivre ? »

L’assistante sociale s’approche de l’enfant et lui demande si ça lui disait de vivre dans une famille. Il dit oui, Ouf soulagement ! Elle continue ; dans une famille ce n’est pas la même vie que dans la rue, il y a d’autres règles de vie et une autre hiérarchie, tu iras à l’école, tu ne devras plus travailler donc tu n’auras plus l’argent sur toi tout le temps. Alors je lui demande maladroitement : « que veux-tu faire dans la vie ? » Il me répond : « je veux d’abord apprendre à lire et à écrire, après je verrai ; j’apprendrai un métier ou faire d’autres études. » Sa réponse m’a surprise.

Après quelques formalités administratives, nous sommes partis avec l’assistante sociale qui tenait à voir le lieu où sera logé l’enfant. Dans ce moment émouvant d’adieu avec le personnel du centre, un vieux monsieur prit la parole la main droite posée sur la tête de l’enfant comme pour le bénir prononça ses paroles : « Petit va pour toujours. Tu m’entends ! la rue n’est pas un lieu de vie pour personne encore moins pour un enfant. Ne reviens plus jamais ici. Tache de nous oublier. Ne pense plus jamais à cette vie. Nous te portons dans notre cœur. Allez va-t’en ! »

En sortant de ce centre, une petite voix appelle Octave ! Nous nous retournons, un petit bout de pas + de 5 ans faisait un signe d’adieu avec sa main. Octave le regarde sans trop tarder comme pour rompre rapidement avec le passé. Mon cœur se serre, j’ai envie de le prendre lui aussi mais je réalise que ce n’est pas possible. J’ai laissé coulé un flot bref de larmes.Nous sommes partis sans nous retourner mais j’ai la conviction qu’il nous regardait nous éloigner. Je sentais son regard.

Pendant tout ce trajet, nous avons parlé de tout et de rien ; au fond de moi, je me demandais quelle sera la réaction de ma mère, mes frères, puis celles de mes sœurs ? j’avais peur de leur décision. Quand nous sommes arrivés devant la maison, l’assistante sociale s’est arrêtée pour regarder le nom de la rue et le n° de la parcelle,  ensuite, elle est entrée. Ma mère était assise dans son fauteuil. Je lui dis simplement : maman, je te présente Octave. Madame Caro c’est son assistante sociale. J’enchaîne, il va rester avec nous pendant un temps ; il ne sait pas où aller ; on ne va quand même pas le laisser dans la rue maintenant que je l’ai retrouvé ! Je vois que ma mère est choquée mais elle ne le manifeste pas peut-être par bonne éducation pour madame Caro. Elle nous sert à manger, nous avons tous partagé ce repas dans la convivialité.

 J’étais dans ma chambre.

Ma mère est rentrée, elle m’a dit : « je ne suis pas contente de ta façon d’agir, héberger un enfant c’est une décision qui se prend en famille, tu as pris cette décision seule. » 

Je lui ai répondu : « je te demande pardon. Je sais que j’ai pris cette décision dans la précipitation et mis toute la famille dans l’embarras. Mais je n’ai pas supporté l’idée de le laisser dans la misère où je l’ai trouvé. Et puis, je l’ai tellement cherché !! Accepte le comme ton petit-fils, fais-le pour moi. »

Ma mère s’est tout de suite calmée et a proposé une réunion de famille le soir. Madame Caro est restée un petit temps avec nous. J’avais l’impression qu’elle avait du mal à faire ses adieux à son petit protégé. Après tout, ça faisait plus de 2 ans qu’ils se connaissaient ! Elle m’a dit : « Tu n’as même pas fait une photo souvenir de nous deux. »  Je n’y avais pas du tout pensé. On était déjà loin de la maison et je n’avais pas mon appareil photo.

 Me voici avec un gosse sur les bras ! Que vais-je faire de lui ? Je n’habite pas au pays, dans 48 heures je dois partir en Belgique. Que va-t-il devenir après-moi ? Je commençais à réaliser l’ampleur de ma décision. Le soir, toute la famille était réunie. Octave dormait déjà. La réunion consistait surtout à savoir pourquoi il était dans la rue ? Est-il vraiment sorcier ? A mon grand étonnement, il était déjà accepté dans la famille.

J’ai désigné Osesa Armand comme son responsable parce qu’il faut une référence pour l’enfant et la famille. Il est aussi notre responsable Oser la vie à Kin. Après tout cet enfant est arrivé là via Oser la Vie. Bigo, le cadet de notre famille s’est proposé pour l’aider à faire ses devoirs. Il s’est mis à le protéger et lui a proposé une petite visite du quartier.

Le lendemain, la tante d’Octave, celle qui est à la base de toutes ses misères est venue à la maison. Dés qu’Octave a vu entrer cette dame, il s’est brusquement levé et s’est réfugié dans ma chambre. Ma grande-sœur a observé cette scène, elle s’est approchée de moi et m’a dit en notre langue : ma petite, j’ai l’impression que l’enfant a peur de cette dame. Se connaissent-ils ? Je lui répondis : je te l’expliquerai plus tard. Il est resté dans la chambre jusqu’au départ de sa tante qui, tellement préoccupée par ce que j’avais dit à sa sœur, n’a même pas vu qu’il était là.

Je croyais qu’elle était venue me dire au revoir et porter du courrier pour sa sœur (mon amie) mais c’était plutôt pour m’agresser, elle était très en colère parce qu’à son avis, elle avait tout fait pour m’aider à retrouver Octave et moi j’ai dit le contraire à sa grande sœur qui est en Belgique. Celle-ci l’avait sévèrement grondée.

Il ne se passe pas un seul jour sans que je pense à cet enfant et à travers lui à tant d’autres abandonnés à leur propre sort. Personne ne s’oppose aux accusations de sorcellerie portées sur eux par toute leur famille, appuyées par les « serviteurs de Dieu », ni ne cherche à savoir ce qu’ils sont devenus, contrairement à ce qu’a fait Chantal(2) en se confiant à Oser la Vie.

J’ai souvent des nouvelles de cet petit bonhomme, il va à l’école, s’adapte tout doucement à sa nouvelle famille et vice versa, il se fait des nouveaux amis, il joue, il rit. Il a une vie normale d’enfant…

Son cœur est-il vraiment guéri ? Guérira-t-il vraiment un jour ?

Sa prise en charge est faite grâce au parrainage et aux fonds de l’asbl Oser la Vie.

NB Ce garçon est considéré comme mort depuis + de 4 ans par certains membres de sa famille y compris sa mère. Ils disent ne pas être prêts à l’accueillir, ils sont plus que jamais convaincus de sa « sorcellerie » Pour cette raison, son séjour dans sa famille d’accueil se prolongera pour une durée indéterminée.

Ahindo Mithé OSUMBU

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